08 septembre 2011

La Possibilité d'une île...

Jeudi 25 août

On est davantage le 23 juillet 2012 que le 25 août 2011, mais bon, c'est bien ce 25 août que les 90% de ce post ont été rédigés ! Il ne me restait qu'à relire, rédiger quelques notes et foutre les photos, ça m'a pris presque une année. Et oui, le quotidien m'a explosé à la figure sans m'avertir et sans discontinuer depuis ce fameux 25 août 2011, et il m'a fallu tout ce temps pour retrouver l'envie de me projeter dans ce petit paradis terrestre et sa collection de personnages romanesques, au large de Madagascar et de l'île Sainte Marie. En vérité, cette dernière semaine m'a accompagnée toute l'année, mais la douce nostalgie d'une image peut survenir à la dérobée, on peut se réfugier dans un fou rire lointain ou revivre une majestueuse danse de baleine au ralenti... de là à poser son cul devant l'ordi, décortiquer les sensations et faire l'effort de les "écrire", il y a là un pas qu'il m'a été impossible de franchir ! Mais me revoilà, au seuil d'un nouveau voyage (et d'une nouvelle histoire), prêt à me défaire des si beaux démons d'un passé pas si lointain ...


Mardi 16 août

Grasse matinée dans le bungalow en bord de plage, avec en guise de réveil le son des vagues qui s’échouent à intervalles réguliers à quelques petits mètres. Il fait beau, l’eau est cristalline et la vue des cocotiers se penchant au dessus de l’océan a quelque chose de surréaliste. L’image idyllique contraste tellement avec la pauvreté de l’île… et pourtant c’est fou comme elle nous fait sentir bien. Petit déjeuner en terrasse, les yeux scotchés vers l’océan. Une barrière de corail protège le littoral des grosses vagues, on peut donc s’y baigner aisément, on ne s’en prive pas.


Notre ami Joel "Si vous voulez" nous parle de la pêche : lui et ses amis descendent en apnée à 15 mètres environs pour ramener poissons et crustacés. Il nous montre un gros coquillage "Sept Doigts" qu’il vient de trouver.


On décide de louer des vélos pour parcourir les routes de l’île. Une seule route goudronnée a été construite récemment sur le littoral Ouest (où nous nous trouvons), le reste n’est que piste pourrie. Les vélos de location sont eux aussi pourris, on reste donc sur le goudron. A 4km au nord en longeant les plages, la ville d’Ambodifotatra (prononcer Ambodifoutre !), son port, ses échoppes de souvenir, son petit marché et  ses deux banques. A la recherche de masques et de tubas dans les magasins, on fait doucement rigoler un français résident qui nous explique que le premier supermarché de l’île ayant ouvert il y a deux ans seulement, et qu’il ne faut pas pousser en cherchant des produits si précis.


L’île est en pleine pénurie de carburant, ça fait monter les prix de l’essence, qui s’achète à environ 2€ le litre sur les marchés « parallèles ». Le prix habituel est déjà à plus d’1€ le litre, incroyablement élevé si on le compare au salaire moyen pratiqué ici, autour de 30€ par mois. Les chauffeurs de taxis sont d’autant plus en colère qu’ils estiment que la grande majorité du carburant est réquisitionné pour les besoins des « safaris baleines » organisés pour les touristes sur des zodiacs qui consomment un max. Ambiance à la station.

On réenfourche les VTT chinois en direction du sud. Il fait beau et le littoral est de toute splendeur. Connue pour être un ancien repère de corsaires, l’île Sainte-Marie, en plus d’abriter un célèbre cimetière de pirates, renferme l’île des Forbans, un petit îlot dans un bras de mer, à l’abri des regards, autour duquel les pirates pouvaient mouiller. La route n’est parfois plus qu’une fine bande entre deux eaux. La promenade à deux roues est un régal, on descend encore bien au sud de l’île avant de rejoindre La Palourde où un taxi vient nous prendre à 14h : on déménage.

Le taxi nous dépose à la pointe sud, ou des dizaines de piroguiers sont en lutte pour être choisi pour la traversée vers l’île aux Nattes, séparée de Sainte-Marie par un gué infranchissable à la nage et un peu tumultueux. Willy l’emporte haut la main.


Depuis la pirogue, l’eau parait encore plus translucide et les plages d’autant plus belles qu’elles sont quasiment vides, un bout de paradis déserté. Willy pagaye une bonne demi-heure le long d’étendues paradisiaques pour nous débarquer plus au sud, sur son côté ouest, Chez Sica. On se fait accueillir par une femme au grand sourire qui nous présente tranquillement le havre de paix dans lequel on s’apprête à élire domicile pour plusieurs jours. Pas de route, de l’électricité provenant de l’énergie solaire, seulement entre 18h et 22h, peu de réseau tél, pas d’internet. L’île, la vraie. Notre bungalow est ultra coquet, petits objets artisanaux, tentures, canapé de bambou, figurines et autres bougies, avec vu sur un jardin à la végétation tropicale et sur l’océan.


Sur le terrain concomitant, La Robinsonnade, avec d’autres chambres d’hôtes et des préparations de plats, ce qui n’est pas le cas Chez Sica. Un français haut en couleurs et bien connu des environs tient le bazar. Vêtu d’un simple moule-bite noir, cheveux longs grisonnants, plutôt bien bâti, accent du sud : un cocktail efficace. Ici on l’appelle Mathias, nom d’un méchant qui tue tout le monde dans un film que tout le monde a vu. D’après ses dires, certains malgaches sont même persuadé qu’il est vraiment Mathias et fuient à son approche ! Certains l’appellent aussi Tarzan. En réalité, c’est Robert.


On tchatche un peu. Il me raconte sa vie. Après avoir passé son enfance à Arles avec les Gipsy Kings (!), il s’est réfugié dans des cabanes qu’il a construites à Beauduc, sur une pointe reculée au sud de la Camargue. Il dit, avé l’accent, y être connu comme le loup blanc et nommé "l’Indien". Je lui parle un peu de mon boulot dans les concerts, il me répond qu’il a côtoyé "en toute simplicité" la jet set souhaitant passer du bon temps dans un coin reculé, loin des paparazzi, Miou-Miou, Clémentine Célarié, Michel Drucker, "et beaucoup d’autres". Il est parti, le coin devenait trop fréquenté et il y avait tellement de reportages sur lui…

Il me raconte ensuite sa vie dans une île déserte dans les Philippines, à vivre uniquement de fruits, de chasse et de pêche. On l’appelai Rambo. Il s’est installé sur Sainte-Marie il y a 12 ans, il vit peinard ici avec sa femme Véro et ses 2 enfants, Wacanda, 7 ans, et Jahyon, 18 mois. Son pote Yann (Arthus Bertrand) vient parfois le voir pour prendre quelques clichés sympas du coin. Il a arrêté de boire il y a 20 ans, "sinon je ne serais plus là pour le raconter. C’est une question de volonté, bien sûr. Mais de destin aussi. Et puté, le destin, il est parfois plus fort que la volonté !".

Baignade avec masque et tuba prêté par Sica. Corail, gros oursins, Murène, pleins de petits poissons, certains gros et multicolores. De l’eau, une petite maison rose fait penser à celle de « Tortue Génial » dans Dragon Ball Z.


Le soir, dîner à La Robinsonnade. Plusieurs nanas malgaches travaillent à la cuisine, excellente.


Mercredi 17 août

Grasse mat, tour d’horloge. Il a plus cette nuit, de petites averses. Après un début de matinée incertain, le soleil réaffirme sa présence avec de belles percées.

En fin de matinée, Christine et Olivier nous rejoignent. On passe du temps dans l’eau à faire du snorkeling avec masque et tuba.


Après un bon repas tous ensemble à La Robinsonnade, Mathias nous propose de nous conduire voir les baleines avec son propre bateau. On hésitait à partir en bateau suite aux problèmes de carburant soulevés hier, mais la proposition est plutôt tentante, et son approche de respect de la nature et des baleines en ne s’approchant pas trop et en les laissant tranquilles colle bien avec nos aspirations. On embarque, Alice, Christine, Olivier, Mathias, Wacanda et moi. Lolo ne souhaite pas nous accompagner.


On navigue un bon moment, s’éloignant de l’île en longeant sur une bonne partie la barrière de corail. On aperçoit des baleines qui sautent au loin, on se rapproche progressivement. Un premier groupe de baleines est bien en vue, mais s’éloigne dès que le moteur est coupé. Mathias : « J’ai l’impression qu’on  les emmerde, on se casse ». Autres plongeons beaucoup plus loin. On approche. De plus en plus prêt. On coupe le moteur. On est à une trentaine de mètres seulement des imposants cétacés. Deux baleines à bosse de 15 m de long environ, accompagnées de deux baleineaux.


Et contre toute attente, la petite famille se rapproche en tournant sur eux même, en sortant leurs grosses nageoires caudales et en les agitant en dehors de l’eau avant de les replonger en fouettant puissamment la mer. On est tous comme estomaqués, sans voix, et les quatre baleines se rapprochent encore, arrivant à quelques petits mètres de l’embarcation, on a presque l’impression de pouvoir les toucher. Immenses, elles pointent leur tête hors de l’eau, plongent ou font tourner leur corps, leur imposante majesté s’exprime  comme au ralenti. Une fontaine d’eau jaillit dans un souffle sonore.


Ces créatures marines sont capables de tuer un orque avec un coup de queue, pourtant l’instant chargé d’émotions fait dresser les poils et naitre une chair de poule sur tout le corps, mais ne peut à aucun moment être assimilé à la peur. Nous pensions avoir tout vu en Argentine, nous nous étions une fois de plus trompés. A Dance with Whales. On remercie vivement Mathias. Les yeux brillants, il nous répond « C’est pas moi qu’il faut remercier, c’est elles, puté. Elles vous ont fait un beau cadeau. Elles savaient qu’on était là, elles nous ont accepté et se sont approché pour qu’on passe un moment ensemble ». Retour sur la terre ferme, comblé. Je ne peux pas m’empêcher d’être dégouté pour Lolo, j’aurai aimé pouvoir partager avec lui aussi ce sentiment de connexion avec une nature qui nous dépasse.

Le soleil déclinant, Christine et Olivier finissent par rentrer sur l’île Sainte-Marie. On emprunte avec Alice et Lolo un petit sentier pédestre passant entre champs, forêt et rizières pour rejoindre le nord de l’île aux Nattes. Sur la fin, l’obscurité est complète et on essaye de se repérer à la frontale. Une seule petite gargote est ouverte aux abords d’un petit village. On mange encore un excellent poisson fraichement pêché, tout en se délectant d’un film malgache au jeu d’acteur véritablement incroyable et à la réalisation véritablement psychédélique, allant jusqu’à 4 plans différents à la seconde sans que rien ne se passe. Fous rires.



Jeudi 18 août

Petit déj décontracté à La Robinsonnade avec Tarzan et sa petite famille. Wacanda est très jolie, toujours souriante, et son petit frère Jahyon n'arrête pas de se péter la gueule en riant. La légende raconte qu'il ne pleure jamais, et qu'il serait né avec une dent ! Deux québecoises, forcément cool, sont aussi de la partie.

On a Rendez-vous avec Christine et Olivier qui veulent nous présenter Richard, un français qui habite aussi sur Sainte-Marie et qu’ils ont rencontrés complètement par hasard en se perdant dans les chemins. On franchit le gué en pirogue avec Willy et on loue des vélos (Lolo et moi) et un scooter (Alice) sur la pointe sud de l’île, afin de rejoindre nos amis à La Palourde, 7km plus au nord. Ils prennent également des vélos et on part ensemble en direction de l’Est sur des chemins tantôt terreux, caillouteux ou boueux, jusqu’au petit village d’Ambodifouraha. Alice regrette presque d’avoir pris un scooter tant le trajet est difficilement praticable.


Une allée de traverse débouche sur un grand jardin surplombant la mer de quelques mètres : c’est là que vit Richard et sa famille. Ils habitent une petite maison faite de bois et de bambou. Sur les à côtés, quelques cultures de poivre, d’ananas, de patates douces et de vanille. Il nous explique que la vanille est en fait le fruit de la rencontre entre un bourgeon mâle et un bourgeon femelle d’une certaine orchidée qu’il faut entortiller d’une manière particulière pour que la jonction se produise.

Sa femme tient un bar-resto qui donne sur le jardin, et s’occupe également de trois bungalows indépendants, principalement loués par la population Saint-Marienne cherchant à « fréquenter » en toute discrétion. Une discrétion inutile d’ailleurs, les ragots sur les relations extraconjugales faisant le tour de l’île en un rien de temps ! Aucun touriste ne passe jamais ici, et Richard a été très surpris de voir Christine et Olivier débarquer sur son terrain.


Lui, il vient d’avoir 30 ans, il vit ici depuis 2004 et il a construit le premier et seul studio d’enregistrement musical de l’île ! A l’époque il était venu voyager  dans le coin... il n’est jamais revenu. Très calme, souriant, un peu allumé naturellement, il ne fume pas, ne boit ni alcool ni café, et se refuse à toute forme de dépendance, jusqu’à l’utilisation d’Internet, qu’il est heureux de capter si mal. Il dit passer plusieurs heures chaque jour à s’assoir sur sa terrasse naturelle, face à l’océan, et à observer les reflets bleus changeants du lagon et les vagues se cassant sur la barrière de corail au loin. Pas pire.

Sa femme, super vive et très sympa, nous a préparé un repas malgache traditionnel. On est invité à s’assoir par terre, sur une nappe, sur laquelle une grosse platée de riz est amenée, déposée sur des feuilles de l’arbre du voyageur, larges résistantes et lisses comme du PVC. Des cuillers ont également été confectionnées à l’aide de ces feuilles et de bouts de ficelles. Un plat est amené avec trois gros poissons tout droit sortis de la mer, à la chair exquise, mélangée dans la cuiller avec du riz et de la délicieuse sauce pimentée maison.


Les discussions avec Richard continuent, de "passionnantes" à "bien perchées". Ça parle politique, économie, virtualité de l’argent, faim dans le monde, comment vivre en adéquation avec la nature, ça vole assez haut mais dans ce cadre là, ça passe. On discute du gros problème de déforestation à Madagascar et du fait que paradoxalement, la population n’a souvent pas d’autre choix que d’abattre la forêt pour cultiver de nouvelles terres, parfois après avoir mis le feu pour faire de la culture sur brulis, appauvrissant le sol par la même occasion. Une fois encore le serpent se mord la queue.

Le côté insulaire de Richard est marrant, il oppose systématiquement dans ses propos les malgaches aux Saint-Mariens ! On dirait qu’il n’aime pas bien Madagascar, qu’il connait par ailleurs très peu.

Vient la visite du petit studio à la bordure du chemin. Une petite pancarte avec écrit à la  main « Musique Studio » sur la porte. Une petite pièce de prises pleine de boitiers d’œufs vides collés sur les murs, avec un micro et une guitare posée dans un coin. Une minuscule pièce de mix avec pour seul matériel un ordi portable, un disque dur externe, et une mixette. Incroyable. Il nous fait écouter les productions du cru : pour l’installation, le son est bluffant. Tous les courants de la musique traditionnelle Saint-Marienne y passent (à ne surtout pas confondre avec de la musique malgache bien sûr, ça n'a RIEN à voir).


De la world très dansante aux rythmes soutenus, du reggae plutôt coloré et très efficace, avec quelques jolies perles mélodiques. Mais aussi de la chanson française par un vieil expat’ de l’île aux Nattes : Jean-Claude Rémy, pote de Pierre Perret. Il enregistre aussi des slaps, rencontre entre le slam et le rap, qui ne sont finalement rien d’autre que des poèmes lus sur fond musical. En voici plutôt sympa :  Notre Carla. Et puis hop, son site. Pendant qu’on écoute, son fils de 18 mois n’arrête pas de danser, de jouer du tam tam en rythme...


On finit par prendre congé de nos hôtes, du studio du petit coin de paradis. On repasse à l’ouest par un chemin à peine moins cabossé qui nous amène plus au nord dans la ville d’Ambodifoutr, avant de récupérer l’axe goudronné pour longer le littoral jusqu’à La Palourde. Christine et Olivier rentrent sur Tana le lendemain et sur Le Man le jour suivant, c’est donc l’heure de se dire au revoir… avec un bon petit punch coco. On aura passé un paquet de temps ensemble et c’était vraiment une belle rencontre, il est à peu près certain qu’on va se recroiser. J’espère qu’on n’aura pas trop foiré leur voyage de noces.

Coup de fil sur mon portable malgache, la meuf du bureau de location des deux roues qui s’inquiète : on a dépassé l’horaire, la nuit tombe et on est à 7km du point de chute. On part donc précipitamment en pédalant à fond. On termine le trajet dans le noir, faiblement éclairé par nos frontales. Les vélos et scooter rendus, Willy nous récupère et nous fait à nouveau naviguer jusqu’à Chez Sica et La Robinsonnade, sur notre île aux Nattes.


Ambiance détendue chez Mathias, on partage un bon dîner (gratinée de crabe farci) autour d’une même table avec les deux québécoises qui se détendent ici après deux mois de volontariat éco-responsable, un couple d’anglais très cool, et la petite famille. Véro, la femme de Mathias, est vraiment sympa, pleine d’humour, on sent bien qu’ils sont ensemble par amour et pas pour des histoires de pognon.  Elle n’est pas non plus si jeune que ça. On apprend que lui a 62 ans… on lui en donnerait facilement 10 de moins. Bon ok, leur différence d’âge doit quand même être considérable.

Ils nous racontent les guéguerres récurrentes et ridicules entre les vieux français installé ici, querelles sur le bruit des groupes électrogènes et autres futilités. Mathias nous lit une lettre d’insulte envoyé par le tenant de l’hôtel Les Lémuriens à celui qui se fait appeler "le Baron", et qui n’aurait selon le premier aucun titre, pas même pas son BAC. Réponse du Baron sous forme de lettre ouverte tout aussi basse de plancher. Puis nouvelle lettre de Jean-Claude Rémy (encore lui, le chanteur) avec des caricatures hilarantes des deux protagonistes et un pamphlet ironique sur leur concours de "celui qui pisse le plus loin". Il nous parle aussi de Fifou, propriétaire du Bora Bora (hôtel 3 étoiles), descendant d’une riche famille de colons et faisant des tours au dessus de l’île avec son petit avion personnel.

S'ensuivent de sombres histoires judiciaires impliquant des vasahas. Une de ses copines est en prison suite au prétendu viol sur mineur perpétré par son mari. Une machination, d’après lui. Il évoque une justice à deux vitesses, une corruption systématique, et le fait qu’il faut beaucoup d’argent pour qu’une enquête soit ouverte. Lorsque des preuves amènent à la culpabilité d’une personne, cette dernière peut d'ailleurs s’en tirer sans trop de problème en payant les enquêteurs.

Il continue avec l’évolution des mœurs dans l’île, la pauvreté, la construction de routes goudronnées… il trouve que ça va dans le bon sens, mais déplore le nombre d’accidents causé par des automobilistes qui tracent sans se soucier des gamins au milieu de la route, qui eux n’ont pas changé leurs habitudes. Il nous parle aussi des fadhis interdisant à certaines ethnies malgaches de pratiquer la transfusion et laissant crever leur famille, ou encore des anesthésiesmortelles de gamins allant se faire circoncir. Et de bien d’autres traditions et coutumes allant à l’encontre du bon sens et causant de graves dommages.

En parlant de dommages, il nous raconte aussi la violence du cyclone Ivan qui a dévasté une bonne partie de l’île en 2009 : « puté, ça c’est la nature qui s’exprime ! Et ça tue beaucoup moins de personnes que les antidépresseurs en France, ça je peux vous le dire ! » Touché.

La discussion vire sur 2012 et la fin du monde présumée, sujet abordé avec pas mal de légèreté et d’humour par les convives. Je raconte aussi à Mathias les recherches du trésor de l’abbé Saunière à Rennes-le-Château, il en rigole d’autant plus que Le Baron et Loulou, le voisin de Chez Sica, viennent tous deux de Limoux, à deux pas de l’embrouille, en plein pays cathare dans l’Aude. A creuser !

La soirée se termine en regardant tous ensemble un documentaire d’Arte sur Sainte-Marie sur le portable de Mathias, retraçant l’histoire, la culture, les mœurs, les croyances, avec au passage une petite interview de... Mathias, évidemment.


Vendredi 19 août

Réveil encore une fois tranquille, presque paresseux, dans ce bungalow du bord de mer aux arrières goûts de bout du monde. Les brumes matinales s’estompent paisiblement au gré des exhalaisons iodées, du feulement des vagues, du bruissement des longues feuilles recourbées des cocotiers, du scintillement cristallins du soleil sur les reflets bleus de l’océan… comme chaque matin, je ne suis pas tout à fait certain d’être là, vague sensation que je vais me réveiller, qui ne s’éloigne jamais totalement au cours de la journée.

A peine quelques pas en direction du lagon, des filles à l’affût nous proposent un massage à l’Ylang-Ylang, un ananas frais, une baleine en bois sculpté ou encore de la vanille. Les canards de Chez Sica sortent en troupeau et courent sur la plage avant de plonger dans l’eau en piaillant, à la recherche de planctons et autres friandises à boulotter. Ils s’imitent tellement les uns les autres qu’on croirait un cours de natation synchronisée !

Petit déjeuner à La Robinsonnade avec nos amies québécoises, Mathias, sa famille… un peu notre famille aussi, on se sent partiellement adopté. Rigolades diverses et anecdotes locales égrainent un petit déjeuner bienfaisant.


Au retour, en passant à côté de Chez Sica, "Loulou de Limoux" est en train de se siffler un petit pastaga, torse poils, impressionnante toison grise apparente. Je le salue en lui souriant, le stratagème fonctionne : invitation à l’apéro. On parle vite de ses origines, Limoux, le pays cathare, Rennes-le-Château, nos amis communs chercheurs, les théories fumeuses, les secrets de polichinelle, les pistes mortes dans l’œuf. Il m’apprend qu’il était très ami avec le notaire de l’abbé Saunière, décédé il y a peu. Curieux quand même, le gars qui prétend « ne pas croire à ces conneries » et qui vient finir sa vie dans un petit paradis éloigné après avoir bien connu le légataire des biens de l’abbé aux milliards ! Je dirai même Loulouche.

Willy vient nous chercher avec sa pirogue et nous conduit plus au nord le long du littoral, un peu au large, derrière la barrière de corail. On plonge avec masques et tubas pour observer de magnifiques fonds marins avec l’eau claire qui permet d’admirer dans toutes leurs splendeurs de nombreux poissons, oursins, et surtout une large variété de coraux multicolores.


En tentant de franchir à nouveau la barrière de corail en direction de la plage, la pirogue est poussée au cul par de grosses vagues et l’une d’elle rentre à grands flots dans l’embarcation ! Trempés, on s’échoue sur le sable pour écoper l’eau comme on peut. Une mésaventure qui sonne le glas de mon téléphone malgache chinois, qui ne sonnera plus jamais, lui.


On décide de faire le tour de l’île aux Nattes en pirogue, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Willy nous emmène d’abord plus au sud, où on fait une pause aux Lémuriens, tenu par l’un des vieux français légendaires (mais pas bien héroïque) de l’île. Le nom ne vient pas de nulle part : des "lémuriens de compagnie" se prélassent sur la table, à côté de nous et dans les arbres alentours ! Rencontre avec un chanteur un peu rasta à qui on achète un disque enregistré chez Richard tout en sirotant une THB de rigueur.


Willy nous parle de ses expériences avec les vasahas de l’île. Il nous raconte tellement d’histoires dingues qu’on a du mal à ne pas y voir un peu de mytho. Avec probablement un gros fond de vérité ! Il raconte que tous les français sont vieux et sont mariés avec des filles de 40 ou 50 ans de moins, tout en ayant des maitresses à tout va. L’un d’eux aurait tué un malgache mais aurait payé sa liberté à la justice. Un autre aurait violé une fille de 7 ans, mais aurait racheté lui aussi sa liberté. En ce qui concerne Mathias c’est différent, il le respecte et le craint beaucoup à la fois... d’après lui, celui que tout le monde surnomme Tarzan ou Rambo est capable de soulever une grosse moto et de la déposer tranquillement sur une pirogue, ou encore de soulever une voiture sans aucune difficulté, il l’a vu il nous le jure ! La légende est en marche.

Il nous dépose au nord de la petite île aux Nattes, face à la pointe sud de l’île Sainte Marie. Quelques mangroves subsistent. Une grande pancarte annonce le resto Chez Tyty, 2 étoiles au Michelin, 2 étoiles au Gault et Millau. On réserve direct pour le soir. Comment ça naïf ?


Alice et Lolo prennent le petit chemin en direction de Chez Sica, pendant que je décide de me faire masser au Baboo village, espèce d’hôtel aux bungalows trois étoiles, extrêmement cher, pour à peine plus de confort que Chez Sica. Sauf que la masseuse du truc, elle a un diplôme et tout. Elle me fait un massage de tout le corps pendant 50 bonnes minutes, un vrai bien tonique et tout.

Je commence à rentrer à pied mais voyant l’heure, je décide d’attendre dans un petit rade du village au centre de l’île. Le lieu a la particularité de diffuser deux musiques complètement différentes en même temps sur deux paires de mauvaises enceintes différentes, à fond. Absorbé par Tolstoï, je me rends compte que l’heure du RV est arrivée et que je n’ai pas vu mes compagnons de voyage repasser. Il fait maintenant nuit noire, je me rends donc Chez Tity avec la seule lumière de mon portable à travers les bois. Un peu flippant. Ils sont bien sûr là-bas, depuis un moment.

Tity n’est autre que la femme de Jean-Claude Rémy, le chanteur, qui est en ce moment en France pour refaire son site Internet ! On goûte un poisson cuisiné à la Tahitienne, avec la chair à peine cuite par l’acidité de la sauce dans lequel il baigne, principalement composée de jus de citron et de lait de coco. Délicieux. Petit rhum arrangé pour la route, une demi-heure pour rentrer à pied à la frontale par les petits chemins traversant l’île.


Samedi 20 août

Aussi agréable qu'il soit, un petit pincement au cœur accompagne un réveil bercé comme chaque matin par le murmure de l'océan : c'est aujourd'hui que commence le grand retour, aujourd'hui pour Sainte Marie, demain pour Madagascar, le lendemain pour la France. A cela s'ajoute un nouveau tracas : on n'a pas assez d’arriary pour payer Chez Sica. Plans sur la comète pour planifier un Aller-Retour à Amboudifoutr, long et compliqué. Au final, Sica prend les Euros !

Le temps est plus indécis ce matin, des averses alternent avec des rayons de soleil. On fait le tour du propriétaire, c'est l'heure des adieux à La Robinsonnade, Sica, Mathias, Wacanda, Loulou… on quitte une sacrée équipe. Willy, fidèle jusqu'au bout, nous conduit en pirogue jusqu’à la pointe sud de Sainte Marie, puis un Taxi jusqu'à La Palourde, où on pose à nouveau nos sacs pour une dernière nuit.


Avec Lolo, on a décidé de faire un baptême de plongée au large d'Ambodifoutr. La plongée, ça fait plus de 10 ans que je projette d'en faire, sans grand succès. Au Vietnam, j'avais déjà annulé mes plans pour suivre Anelor au Laos (c'était par ailleurs une des meilleures idées de ma vie). Depuis, toutes les tentatives sont restées mortes. Jusqu'à la veille, on avait réservé un baptême avec un autre gars qui nous a rappelé (dans les derniers souffles de mon portable local) pour annuler pour cause de cheville foulée ! Aujourd'hui, la malédiction arrive à terme, grâce à Eric Laurent (ça ne s'invente pas), du Lémurien Palmier (ça non plus).

Ce dernier arbore le style décontracté-pro qui sied bien à la tâche : le mec veut rassurer les inexpérimentés que nous sommes, tout en détendant l'atmosphère. Bêtisier des baptêmes de plongées antérieurs, récit du canular fomenté par guide du routard pour tester son professionnalisme... il se la raconte même un poil, mais n'en est pas moins sympathique. Il est aussi l'un des seuls agréés par les autorités de l'île à prendre des photos sous-marines des baleines à bosse, il nous explique que l'exercice n'est pas sans danger, vu la force herculéenne des dits mammifères.

Après avoir revêtit une sublime combinaison en néoprène, on embarque dans un bateau à moteur avec toute une famille parisienne, les parents et leur trois gamins, compagnons de fortune qui vont s'avérer plutôt reulous. Chacun plonge avec Eric à tour de rôle, environ 30 minutes, après quelques consignes précieuses : comment se mouvoir dans l'eau, respirer avec des bombonnes de gaz,  communiquer avec des gestes simples pour faire passer les messages les plus courants.


Je passe en avant-dernier, l'attente est longue mais on a des masques et tubas faire du snorkeling alentours. Finalement la patience est plus que récompensée, l'expérience est véritablement incroyable. Passés les premiers instants, où on se sent dans un environnement presque hostile, avec une façon d'inspirer et d'expirer dans le masque assez peu naturelle, on commence à s'y faire, à comprendre comment s'orienter en se servant des bras, descendre en jouant sur l'air dans le gilet, capter le regard d'Eric et lui répondre à ses questions parles gestes prévus... et puis, en suivant ses signes, on commence à s'enfoncer et à regarder alentours. Un autre monde, comme dans les documentaires sous-marins mais en 3D, avec des sensations inédites, et puis la caméra c'est nous quoi. On tourne autour d'un grand massif de corail de toutes les formes, toutes les couleurs, toutes les textures. Traversée de bancs de poissons multicolores minuscules, d'autres gros zebrés, des plus longs... je ne suis pas assez calé en poisson pour savoir ce que j'ai pu voir, même sans nul doute des espèces extrêmement rares et totalement endémiques ! Un hippocampe flotte juste devant moi, Eric me fait signe de le prendre dans les mains, il y glisse tranquillement, sensation particulière. On descend à 7m environ, le fond sous-marin, même pas profond, offre juste un spectacle hallucinant. J'ai envie de prendre dans mes mains tous les coquillages aux formes étranges, et de rester encore des heures à faire des rencontres sous l'eau d'un autre type. Mais Eric me fait signe, il faut remonter, Lolo attend son tour ! Le retour à l'air libre est presque aussi étrange que l'immersion première, et je n'ai qu'une envie à ce moment là : passer le niveau 1 de plongée et remettre le couvert. Lolo est tout aussi enchanté que moi, il a même vu un calmar, fait assez rare.

De retour à La Palourde, notre ami Joel nous accueille avec... une langouste immense qu'il a péché
dans la journée et qu'il nous propose pour le dîner !


Il nous demande comment on la veut : l'option grillée prend la corde. Ils sont trois à veiller sur la cuisson du crustacé géant, après avoir coupé la bestiole en deux dans le sens de la longueur et l'avoir badigeonné d’huile avec un pinceau.


Pendant ce temps, la petite de la maison hurle de joie en regardant Dora l’exploratrice à la télé.
Le met finit dans nos assiettes puis dans nos ventres, il y en a tellement qu'on a presque du mal à tout terminer, malgré la présence de Lolo ! C'est juste délicieux. On profite du bruit des vagues juste à côté, de l'ambiance apaisée et du goût unique de ce repas de chef, sous le regard bienveillant de la famille et de Joël.

Ça va nous manquer.


Dimanche 21 août

Lever 4h30. Ouch. Le taxi est à l'heure. En ville, quelques viennoiseries françaises (lire grasses) sortent juste du four « Au Bon Pain ». Tout le village est déjà levé, endimanché, prêt pour la messe.

La traversée en bateau dure environ 1h, le soleil est déjà bien levé, des baleines plongent au loin. A l’embarcadère, on rachète de la vanille à la petite vieille. Elle nous demande aussi de poster des lettres en France, elle ne sont pas affranchies. On lui fait la remarque, elle nous regarde en souriant et nous rajoute une poignée de vanille dans le sac.

Premier bus jusqu’à Tamatave. Le dimanche, les départs de taxi-brousse y semblent hasardeux, c'est la merde. On prospecte pour tenter de partager les frais d’une loc. de minibus qui nous ramènerait à Tana direct. On se retrouve à huit : un jeune couple anglais (fille mignonne et mec uuuuultra baraqué), un couple allemand d’une quarantaine d’années, un étudiant français et nous trois. A huit, c’est à peine plus cher que le taxi-brousse, environ 10€ par personne, chauffeur et essence compris. Let's go, trop facile.

Et bien oui, trop facile justement ! Au bout de 3h, embrayage à terre. Les yeux de Lolo et d'Alice se tournent immédiatement vers moi, avec des regards qui en disent long, comme si j'étais une fois de plus responsable de la panne ! Tout se passait trop bien. Le Chauffeur parle une langue probablement morte il y a longtemps, en tout cas pas le français, on ne comprend rien. Il se met à faire une marche arrière ultra longue pour redescendre toute la côte de la montagne qu'il avait commencé à gravir. Les passagers se mettent à stresser, certains ont un vol de Tana le soir même. Le chauffeur ne stresse pas, lui, il accueille la tuile avec beaucoup de fatalité et de décontraction (un peu comme moi). Les anglais parviennent à faire du stop pour rentrer à temps surTana : notre ami le chauffeur crie au miracle en levant les mains au ciel... un peu too much quand même. On se pose tous dans un hameau au bord de la route, assailli par les habitants qui n'ont pas l'habitude de voir des voyageurs s'arrêter ici.


3h plus tard, un nouveau minibus arrive. Le chauffeur nous prévient : « pas problème ! même couleur, même qualité ! ». Dans ce cas je ne vois pas ce qu'il pourrait nous arriver effectivement.

Arrivée à Tana by night, sans encombre. Installation dans l'hôtel Saint-Antoine, dans la même chambre que le premier soir. La boucle est presque bouclée.


Lundi 22 août

Lever 6h. Taxi pour l'aéroport. Dernier coup d’œil aux rizières depuis l'habitacle bancal.
L'avion décolle comme prévu à 9h45, et atterrit à La Réunion vers midi. On a 8h à poireauter, autant aller se balader sur l'île. La différence avec Mada est juste aberrante, le taxi nous prend 25€ pour 10 petites minutes, et a le temps de se plaindre de la chaleur et des radars… welcome back in France.

Raf ne nous ayant pas dépêché le comité d'accueil espéré, on va se débrouiller seuls. Balade à St-Denis, par un temps pas très avenant. Sieste dans le Parc de l’Etat, emplettes au grand marché de l’artisanat (les mêmes trucs qu’à Mada), rue piétonne marchande, cocktails de jus de fruits frais délicieux. On trouve un bus qui nous ramène à l’aéroport pour 1,60€, aussi rapidement que le taxi : mieux.

Dans la salle d’embarquement de l'aéroport Roland Garros, rencontre avec Franck d’Oh Lord productions et les Fishbone, qui se retrouvent juste devant nous dans l’avion ! Rigolo.

C'est une fois de plus dans l'avion, les yeux prenant par instants le large de l'écran diffusant je ne sais plus quel nanar, que les souvenirs de ces quatre semaines réaffluent sans prévenir. Les images s'entrechoquent dans un méli-mélo d'émotions, je retrace dans ma tête chaque journée de ce parcours, avec son lot de visages marquants, de voix qui font écho, et de paysages qui se remodèlent déjà. Les souvenirs, si proches, résonnent pour mieux s'éparpiller, s'enfuient chaque seconde un peu plus, sans doute par coquetterie, pour être mieux rattrapé, et finalement plus à même d'être sublimé. Les sensations se faufilent par toutes les brèches, celles que je tente aujourd'hui de combler par ces mots peut-être vains, mais qui ont au moins l'avantage de pouvoir faire goûter par procuration aux saveurs de ce voyage à Madagascar.

Probablement l'un des plus marquant de ma vie.
Un pays qui me tend encore les bras, et qui laisse un goût de reviens-y.

Lu pendant ce voyage :

-    Les Aventuriers de la mer - tome n°7 (The Liveship traders III – part 1) de Robin Hobb
-    Les Aventuriers de la mer - tome n°8 (The Liveship traders III – part 2) de Robin Hobb
-    Les Aventuriers de la mer - tome n°9 (The Liveship traders III – part 3) de Robin Hobb
-    Anna Karénine de Léon Tolstoï

-    Lonely Planet « Madagascar »
-    Guide du Routard « Madagascar »



Jeudi 25 août - Lyon, France

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